dimanche 20 janvier 2008

Clocharde refuse changer son « adresse »


Mahassen est une mère de famille que le sort lui a joué un mauvais tour. Souffrante, délaissée sans abri, dans les rues de Tripoli, elle refuse de changer sa vie pour retourner dans sa famille paternelle.

« Maman est cupide, mes frère et sœur m’ont volée » murmure Mahassen El Meraabi, une femme de 48 ans, aux cheveux courts, yeux enflés, lèvres bleuâtres, sèches et pleines de verrues. D’une voix à peine audible annonce «Dieu ne laisse personne, autant qu’on fait du bien autant on reçoit du bien. J’ai toujours aidé les autres, moi ». La pluie tombe en averse, le vent semble arracher tout dans ce quartier de Tripoli. C’est derrière la porte fermée d’un immeuble, qu’elle s’abrite dès que le soleil se couche. Plongée jusqu’aux oreilles dans des draps usés en laine « Je ne peux pas me mettre debout, je saigne, j’ai mal. Ah ! Je n’ai jamais pleuré autant qu’aujourd’hui » dit-elle tremblant de froid, allongée sur les escaliers. Pleurer parce que « je voudrais aller voir Fatmeh ma fille, elle vient d’accoucher. Elle ne m’a jamais laissée. Je n’ai plus sa photo, on me l’a volée ainsi que tous mes papiers ». Ne cessant de tousser jusqu’à étouffement elle raconte que le propriétaire de son appartement l’a chassée il y a quatre ans sans savoir les raisons. Depuis, elle habite les trottoirs de la ville. « Je la voyais emmener sa petite fille à l’école, elle était très chic et élégante » dit Rana El-Haçan, une habitante du quartier EL-Jemmayzat. Elle ajoute « quand je l’ai vue la première fois dans cet état, j’ai été étonnée ». Cette dame raconte la même histoire que Mahassen, mais « sa fille a été enlevée et envoyée chez le père en Afrique ».
Mahassen est née au Sénégal, parle très bien le français, espère y retourner un jour avec sa famille mais elle est à Abidjan en Côte d’Ivoire «on m’attend là-bas » dit-elle « mais il faut que j’aie mon passeport, c’est mon beau-frère qui s’en occupe ». Elle continue « d’ailleurs, je ne vais pas tarder à partir, rien que deux jours, cela ne vaut plus le coup de louer un appartement à trois cents dollars ». De son côté son beau-frère, Abdel Basset Al Meraabi, affirme que pour des raisons familiales « son mari - mon frère, l’a quittée ». Puis, nous avons envoyé la fille chez le père, il en est responsable » sans expliquer les raisons.
Aujourd’hui, Mahassen s’est habituée à sa nouvelle maison, elle ne gêne personne. C’est sur le trottoir, auprès d’un café, qu’elle se met pendant le jour, et ne le quitte que pour aller aux toilettes dans ce café -si le propriétaire lui permet. Selon lui « elle a une très mauvaise odeur ». Et le fait d’aller chez sa mère à Akkar est impossible « pourquoi je vais aller chez elle ou chez chez mes frères et soeur ? Ils m’ont aimée quand je leur donnais de l’argent, maintenant c’est fini ».
Elle évoque à nouveau ses pleurs. Son fils mort-né, lui revient à la mémoire « j’ai vu ses yeux. Il était là ce matin, je l’ai senti dans les yeux d’un tout petit oiseau qui s’est approché de moi. Il a mis son bec sur mes lèvres et m’a embrassée». Il aurait pu être son soutien en ces jours.
Mahassen ne veut plus se détacher de sa place « c’est là qu’on viendra me chercher, c’est là mon adresse » et se tait.

Randa Abou Chacra