lundi 26 novembre 2007

A Ouzahi, l’Etat c’est le Hezbollah

Quand l'Etat libanais brille de par son absence, les habitants de Al Ouzahi n'en ont que faire: le Parti de Dieu n'est jamais très loin.

Les tapis persans sont étalés sur le trottoir, dégageant un nuage de poussière , juste à côté, des tables de chevet bien en vue face aux bergères laissent deviner une galerie parmis tant d’autres. En face, la sciure du garagiste se mélange au sang frais du mouton égorgé chez le boucher voisin. Point commun de tous ces commerces, une même photo accueille les passants: le chef du Parti de Dieu, Hassan Nasrallah faisant le “V” de la victoire.

Plus que jamais négligée par l’Etat libanais, Al Ouzahi, dans la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah, résiste. En attendant, les habitants ont trouvé leur substitution à l’Etat: le “Hezb”. Assisté par quelques associations caritatives, le Hezbollah improvise l’aide sociale.
Dans ce creuset aux teintes panachées, la cohabition des Chiites, Sunnites, palestiniens et syriens laisse espérer un prélude à la paix.
En dépit d’une agitation permanente et d’un va-et-vient chaotique, le commerce lutte. Mohamad Hussein, artisan de lustres d’origine palestinienne hausse les épaules, l’air désolé: “Je passe ma journée à dégager les mouches, il n’y a plus de travail! ”. Un peu plus loin, dans le quartier de mobiliers, un client passe de temps à autre. “Ca va bientôt faire deux ans que je suis fiancé”, soupire Mohamad Assayli, propriétaire d’une galerie.“Je ne crois pas pouvoir me marier de sitôt vu la situation!” ajoute-t-il, cigarette en main. Comme des milliers d’autres commerçants et habitants de Ouzahi, Mohamad ne perd pas espoir, sa ténacité à vivre dépasse les aberrations du gouvernement libanais.

Des centaines de maisons inhabitables coexistent dans cette région plus industrielle que logeable. Bien avant la guerre de 75, les propriétés auraient été illégalement achetées par de grands capitalistes. Plus tard, avec l’avènement de Hariri au pouvoir, le projet “Alyssar” financé par l’Etat de Kuwait menace de voir le jour. Objectif: raser tous les immeubles pour faire de la région une résidence touristique et construire des hôtels. Le projet est néanmoins loin d’être entamé. “Ils n’arriveront jamais à nous arracher de notre quartier”, tranche une ménagère , sourire au lèvres.“ Cette ville cache des trésors historiques, à titre d’exemple, la mosquée de l’Imam Al Ouzahi”.
Ouzahi doit effectivement son appellation à l'Imam Al Ouzahi, autodidacte vénéré et “maître de l'éducation”, “trésor de la science et source de la sagesse”.En l’ocurrence, l’éducation est loin d’être privilégiée à Ouzahi. Dépourvue d’écoles publiques malgré les vaines revendications des habitants, les jeunes d’Ouzahi préfèrent se diriger vers la spécialisation professionnelle. “Moi, je veux être médecin” riposte Nour, 14 ans, yeux pétillant d’ambition, “mais je n’aime pas habiter Ouzahi, il y trop de fumée chez nous à cause des usines, trop de bruit, trop de monde, je n’arrive jamais à étudier en paix”. Nour et ses deux frères sont asthmatiques. “Je dois visiter le médecin chaque mois” déclare-t-elle.
“C’est le cas de la plupart des jeunes de la région”, affirme Dr. Ali Al Atat, généraliste depuis plus de vingt ans à Ouzahi. Dans sa petite clinique partagée avec trois autres médecins, Ali explique que l’insalubrité de la région et la pollution des usines annexées aux foyers serait la cause principale des maladies respiratoires. Quant au matériel médical, le docteur Al Atat déclare que quelques dispensaires ainsi que le “Hezb” fournissent l’approvisionnement. L’absence de l’Etat serait ainsi compensée par la présence imposante du Hezbollah.
Privée d’eau et d’électricité, Ouzahi n’a jamais senti la présence de l’Etat libanais. “Quand Mohamad Fneish [cadre du Hezbollah] était ministre de l’eau et de l’énergie, on recevait l’électricité, mais depuis sa démission, on a des coupures de plus de 17 heures par jour!”, souligne Al Atat. Plus haut dans la ruelle, Hussein Ali Rahal, maire de 70 ans, remplit des papiers administratifs. Son bureau et sa chambre n’en font qu’un. Sa chaise de travail n’est autre que son lit. “On a longtemps négligé Ouzahi”, soupire-t-il. “Bien sûr que le Hezbollah représente l’autorité et le pouvoir chez nous, c’est lui qui nous protège. Que Dieu le préserve!”, ajoute-t-il, avec un mouvement d’émotion qui bouge son drap, laissant à découvert ses jambes amputées.

JANINE AYOUB

Aucun commentaire: