dimanche 18 novembre 2007

Depuis 1964, les histoires qu’il collecte sont celles de ses clients.
Un grand livre humain


Propriétaire d’une petite librairie à Broumana, banlieue de Beyrouth, Emile est le témoin vivant du quartier.

7 heures du matin, les quelques voisins encore endormis se réveillent aux grincements du portail métallique. Le geste matinal d’Emile, le libraire du coin, est un rituel.

Emile, 74 ans, pousse la porte de son petit coin, inspire fortement, pour s’imprégner de l’atmosphère familière. Il hoche la tête répondant à un étudiant attendant le bus « gentil ce garçon, comme son papa l’était à son âge », sourit à la jeune mariée du voisinage, et dépose les paquets de journaux qu’il a dans les mains.

Puis comme si tous l’attendaient, le petit espace autour de lui se remplit. Emile est dans tous les coins à la fois, souriant à tous, répondant à qui lui parle, plaisantant…
Un jeune cadre empoigne un hebdo et un paquet de cigarettes. Une étudiante saisit un roman récemment paru. Un garçon avec sa maman choisit son nouveau cartable. Sans oublier le vieux monsieur avec sa feuille de Loto, « le tirage c’est ce soir ! ».
Emile les reconnaît, il sait toutes leurs histoires. « Julien et sa famille immigrent au Canada, ils ne supportent pas la situation» «Elisa terminera ses études cette année » « Pauvre Miriam, elle voit rarement son mari, c’est un soldat » …

L’agitation matinale terminée, Emile réarrange les étagères. Le reste de sa journée s’avère plutôt ennuyeux si ce n’est pour quelques personnalités qui font leurs apparitions. Ces derniers se plaisent à discuter avec le libraire. Sa franchise qui frôle l’insolence, crée des échanges pétillants qui épicent ses journées. «J’en ai vu, moi, des personnages. Juges, députés et PDG sont tous mes amis. Ils parlent de tout et de rien ».
Philanthrope, Attentionné, Erudit, Emile est tout cela.
Mais aussi, Emile sait très bien que son entreprise est en danger « les gens n’ont plus le temps de lire. Les machines, l’Internet, bref; la technologie, tout cela me dépasse ».

La nuit commence à envelopper les bâtiments du quartier; la salle de cinéma délaissée, l’atelier clos d’un cordonnier. Seule la librairie est vivante « mais pour combien de temps ? ». C’est la question que se pose Emile chaque soir avant d’éteindre les lumières et de saluer ses voisins par les grincements du portail métallique qui se referme.

rédigé par Patricia Bou Jaoudé (1er article)

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